Depuis début 2022, l’endettement des entreprises a augmenté, particulièrement en Amérique du Nord.

Pourquoi les entreprises s’endettent ?
Quel est l’impact de la hausse des taux pour les entreprises nord-américaines ?

L'augmentation des taux d'intérêt pose un défi aux entreprises endettées. Pourtant, depuis début 2022, l’endettement des entreprises a augmenté, particulièrement en Amérique du Nord (350 Mds de dollars d’émissions nettes1 contre 80 Mds de dollars en Europe), alors qu’en parallèle, le coût moyen de financement pour 1 Md de dollars d’obligations de bonne qualité (Investment Grade i.e. notées BBB- ou plus) y est passé de 17 M de dollars fin 2020 à 63 M de dollars aujourd’hui. Pourquoi ?

L’endettement des entreprises découle de trois besoins : (1) financer les investissements (CAPEX), (2) financer les acquisitions, et/ou (3) financer la politique de rémunération de l’actionnaire (dividendes et rachats d’actions). La réponse réside donc principalement dans le fait que de nombreuses entreprises endettées, en particulier les grandes entreprises, continuent de s’endetter pour investir dans leur croissance, de réaliser des acquisitions ou de soutenir leur cours de bourse avec des rachats d’actions, tout en restant saines financièrement.

Prenons l'exemple du secteur des compagnies de chemin de fer en Amérique du Nord, qui génèrent plus de 100 Mds de dollars de chiffre d'affaires annuellement et doivent investir constamment environ 20 % de ce montant en CAPEX dans la rénovation des voies, l'achat de nouveaux wagons, locomotives et terminaux pour développer leur réseau. Ces chemins de fer sont essentiels pour les échanges domestiques et internationaux de biens et de marchandises, et les capacités de transport devraient augmenter ces prochaines années, portées notamment par le mouvement de réindustrialisation en Amérique du Nord qui se dessine.

Le groupe Canadian Pacific Railway (CPR), une entreprise ferroviaire canadienne valorisée 68 Mds de dollars en bourse, a récemment étendu son réseau du Canada au Mexique en passant par le centre des États-Unis, offrant ainsi des perspectives de croissance prometteuses. Le Mexique est récemment devenu le premier partenaire commercial des États-Unis, dépassant la Chine, et bénéficie du mouvement de réindustrialisation. CPR a donc racheté sa concurrente américaine, Kansas City Southern (KCS), pour un montant de 31 Mds de dollars (valeur d'entreprise incluant une dette nette2 de 3 Mds de dollars) pour former CPKC. Actuellement, CPKC a une dette nette consolidée de 17 Mds de dollars, avec une notation BBB+ (Investment Grade).

Il peut être surprenant de constater que sa concurrente directe, Canadian National Railway (CNR), est moins endettée (dette nette de 13 Mds de dollars pour une capitalisation boursière de 70 Mds de dollars) et bénéficie d'une meilleure notation de crédit (A-), mais emprunte à un taux moyen de 4,3% contre 3,4% pour CPKC. Cette différence s'explique principalement par le fait que plus de 50% de la dette actuelle de CPKC a été contractée pour financer l'acquisition de KCS à une époque (2021) où les taux étaient encore bas. À l'inverse, CNR prévoit d'augmenter ses investissements tout en poursuivant ses rachats d’actions dans les années à venir, et devra refinancer d'importantes échéances à court terme tout en empruntant à des taux plus élevés, ce qui augmentera davantage son coût moyen de la dette si les taux restent élevés sur une longue période. CPKC a ainsi un avantage relatif car elle s’est endettée à un moment propice, bénéficie d’un échéancier de remboursement plus étalé, et mise davantage sur les synergies résultant de la création d'un réseau nord-américain unifié que sur de nouveaux investissements, ce qui lui permettra de réduire son endettement.

En somme, la hausse des taux n’a que peu d’impact sur ces grandes entreprises, qui génèrent des flux de trésorerie (cash-flows) réguliers et importants grâce à des marges opérationnelles élevées (> 40 %) et un pouvoir de fixation des prix.

Pour certaines grandes entreprises, la hausse des taux peut même présenter des opportunités. Citons le cas du groupe Roper Technologies (52 Mds de dollars de capitalisation), un conglomérat américain regroupant plusieurs éditeurs de logiciels spécialisés dans des domaines de niche très rentables tels que l’assurance ou la santé, principalement auprès de fonds de private equity. Roper intègre ces entreprises à son portefeuille de manière permanente, sans chercher à réaliser de sortie à un multiple élevé. Par conséquent, Roper n'est pas aussi sensible que d'autres investisseurs aux prix d'achat et peut se permettre d'acquérir des actifs de grande qualité à des prix relativement élevés. Par exemple, Roper a récemment acquis une entreprise réalisant 185 M de dollars de chiffre d’affaires pour 1,25 Md de dollars, portant sa dette nette à 6,5 Mds de dollars. Le groupe est même prêt à augmenter son endettement net de 50%.

Cette opportunité se présente car les fonds de private equity ont du mal à trouver des acheteurs prêts à payer des prix raisonnables, comme le fait Roper. Alors que les acheteurs se font rares, les cibles potentielles abondent : Roper identifie ainsi plus de 1000 opportunités d'acquisitions chaque année, pour finalement n’en retenir que 25 environ qui répondent à ses exigences très précises, à savoir une concurrence limitée, une croissance régulière des cash-flows et une direction managériale de qualité.

En résumé, pour des grandes entreprises de qualité telles que celles que nous avons évoquées, le niveau des taux d'intérêt a relativement peu d'impact, et peut même représenter une opportunité.

Achevé de rédiger le 12/10/2023 par Hafid Lalouch, gérant de fonds.

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1Émissions brutes – remboursements, entreprises non-financières uniquement. Source : Bloomberg.

2Dette brute – disponibilités