Le Fonds de Dotation Transatlantique donne la parole à des philanthropes engagés dans le cadre des grands entretiens de la philanthropie. Aujourd’hui, Jean-Marc Richard nous présente l’action de la Fondation AMIPI - Bernard Vendre qui œuvre en faveur de l’insertion professionnelle des personnes avec un handicap cognitif.

Parlez-nous de la Fondation AMIPI - Bernard Vendre : quelle est sa mission, quelles en sont les modalités ?

Le fonctionnement de la fondation est inspiré de la vie de Bernard Vendre, porteur d’une trisomie 21, dont le cerveau a développé des connexions synaptiques grâce à des apprentissages variés en dehors du système scolaire. Bernard a ainsi pu devenir un excellent ouvrier et conquérir son autonomie grâce à son travail manuel au sein de l’entreprise Nicoll. Dans les années 1970, à la demande du Professeur Robert Debré, François Bloch Lainé - alors Président du Crédit Lyonnais - a confié au père de Bernard, Maurice Vendre, la mission d’organiser le secteur adapté en France. En résulte notamment la création des usines apprenantes et inclusives® : « les Upai Maurice Vendre ».

Situées dans les Pays de la Loire et en Centre-Val de Loire, ce sont aujourd’hui six usines qui produisent 7,4 millions de câbles automobiles pour des entreprises telles que PSA, Renault ou Plastic Omnium chaque année. Elles emploient 900 personnes, dont 750 avec un handicap cognitif. En 55 ans d’existence, les usines apprenantes et inclusives® de la Fondation AMIPI ont permis l’inclusion de 1 612 personnes handicapées dans l’économie, grâce aux savoir-faire qu’elles ont acquis en y travaillant.

Comment est né votre engagement au service de l’intérêt général ?

Mon engagement est motivé par un certain esprit de résistance, identique à celui qui animait Maurice Vendre lorsqu’il a fondé la Fondation AMIPI - Bernard Vendre avec l’appui de compagnons comme mon père, Jean Richard. Tous deux ont étudié au lycée du Parc à Lyon auprès de professeurs comme Georges Bidault1 pendant les années de guerre de 1939 à 1945. L’esprit « rebelle » qu’ils y ont développé m’a été transmis ; en 2002, il m’a conduit à rejeter la fermeture des usines de l’AMIPI à cause de la mondialisation. Il anime aussi des centaines d’ « ami-sapiens » qui refusent la fatalité d’un monde guidé par les seuls critères financiers.

Je crois que l’humain et le « savoir-compter » sont les clés de nos réussites actuelles et futures. Mon investissement au service de l’intérêt général doit en outre beaucoup à mon amitié avec Bernard : ouvrier dans l’entreprise Nicoll, il était un ami tout à fait « normal » à mes yeux. C’est en travaillant aux côtés de Maurice et de Maryse Vendre que j’ai appris ce qu’était la vraie « normalité » : permettre à chaque individu d’exister comme personne, et j’ai la conviction que le travail est la variable-clé pour y parvenir. Si une personne est en mesure de travailler, elle bénéficiera tant des apprentissages que du travail qu’elle souhaite accomplir. Enfin, c’est aussi mû par la curiosité – une attitude encouragée par Maurice Vendre – que j’ai fait le choix de m’engager.

Le neuropsychiatre Jean-Michel Oughourlian a tiré de son immersion dans vos usines un ouvrage, Le travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société. Pouvez-vous partager avec nous ses enseignements ?

Ce livre, dans lequel le Professeur Jean-Michel Oughourlian examine nos travaux autour des apprentissages, a permis des avancées considérables dans la diffusion de nos pratiques et de notre modèle d’usines apprenantes et inclusives®. Ceux-ci sont largement compatibles avec un système industriel et libéral. En effet, nous participons, à notre échelle à la construction d’une société dont le refus de laisser des personnes sur le bord de la route permet de diminuer le coût mesurable du « non travail » - sachant qu’une personne qui ne travaille pas coûte en moyenne 25 000 € à la société chaque année - et celui moins tangible de l’explosion des violences urbaines et des fondamentalismes.

Les travaux du Professeur Jean-Michel Oughourlian sur les neurones miroirs et les mimétismes ont éclairé toute notre action collective. J’ai ainsi appris une idée fondamentale qui peut se répliquer dans n’importe quelle organisation : un travailleur doit démontrer d’abord et avant tout une compétence dans son domaine, mais il doit aussi faire preuve de bienveillance, d’un fort désir de transmission et de suffisamment d’empathie pour neutraliser les rivalités autour de lui. C’est ainsi qu’il pourra devenir « modèle » au sens des mimétismes enseignés dans Le travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société.

Quel bilan dressez-vous de l’action de la Fondation AMIPI - Bernard Vendre ? Quels sont les challenges auxquels il lui faut faire face ?

Le bilan est très simple : 450 nouveaux emplois ont été créés grâce aux politiques RSE de nos clients (Renault, PSA, Faurecia, etc.) et depuis 2015, 113 de nos opérateurs ont eu l’opportunité de rejoindre des entreprises dites « classiques » ; cela correspond à une économie de prestations sociales d’environ 30 millions d’euros pour l’État. Ce bilan répond totalement aux attentes des pouvoirs publics, notamment celles du ministère du Travail, mais aussi aux objectifs RSE de nos clients.

En 2005, nous sommes devenus une Fondation reconnue d’utilité publique au même titre que l'Institut Pasteur. Cela a considérablement renforcé nos capacités d’action, nous permettant ainsi d’affronter les nombreux défis que nous rencontrons. L’un d’eux est la tendance à accorder systématiquement une plus grande importance au coût global du travail par rapport au coût global du « non travail ». Ce défi peut être relevé en créant des conditions permettant à l’État, aux entreprises et aux salariés de dialoguer afin d’adapter le travail à chaque situation et ainsi le mettre au cœur du vivre-ensemble. Cela passe par le positionnement de l’apprentissage au cœur de la stratégie d’entreprise et l’accueil de scientifiques dans nos usines, mais aussi par l’exercice de la responsabilité sociale de nos clients et par le dialogue social avec les instances syndicales.

Un travail manuel diversifié et sophistiqué, comme celui organisé au sein des Upai®, doit être valorisé et maintenu car il engendre des progrès humains. Alors que nous assistons à une montée en puissance de l’intelligence artificielle et de la robotisation, nous devons discerner ce qui doit demeurer propre à l’activité humaine et ce qui pourrait être délégué aux « machines » de façon pleinement démocratique. Je pense pour ma part qu’il faut permettre à certaines activités de perdurer compte-tenu de leurs bénéfices pour le cerveau et le développement des synapses. À ce titre, l’AMIPI s’engage, notamment au niveau des apprentissages, en faveur de l’artisanat et du travail manufacturier.

Dans quelle mesure estimez-vous que la philanthropie contribue à faire évoluer la société et les comportements, notamment dans le monde professionnel ?

La philanthropie est essentielle pour faire évoluer les comportements : elle incarne une forme d’adhésion à des expériences humaines qui sont nécessaires à l’évolution de la société. Il est toutefois indispensable que les philanthropes connaissent la destination de leur don et y soient attentifs. En ce qui concerne la Fondation AMIPI, nous devons vendre nos produits à des sociétés compétitives et générer des flux financiers de deux millions d’euros par an pour financer des investissements en usine pour lesquels nous ne dépendons bien entendu pas des dons.

En revanche, l’action philanthropique peut se porter sur les investissements d’avenir, notamment des projets scientifiques avant-gardistes. Nous recevons des dons de personnes qui comprennent notre action ; ce sont des donateurs « patriotes » qui soutiennent nos combats en faveur des industries, de la recherche en neuroscience et de l’innovation sociale. La philanthropie est essentielle, mais d’autres actions font tout autant évoluer les comportements : en ce sens, la lecture de l’ouvrage du Professeur Jean-Michel Oughourlian par 30 000 personnes pourrait faire évoluer l’ensemble de la société française.

Repères biographiques

Diplômé de l’ESSEC en 1982, Jean-Marc Richard Jean-Marc Richard débute sa carrière en tant qu’ingénieur commercial au sein d’IBM, avant de devenir directeur général de Citadines. En 1995, il intègre la banque HSBC et y conduit le projet « Clubs pays HSBC Ubifrance ». Administrateur de la fondation AMIPI – Bernard Vendre depuis 1983, Maurice Vendre l’en nomme président lors du premier conseil d’administration en juin 2005. Cinq ans plus tard, Jean-Marc Richard quitte le monde bancaire afin de se consacrer pleinement à ses fonctions bénévoles et cofonder une entreprise dans le secteur du biogaz, Fertigaz. Son engagement de président de la fondation  AMIPI Bernard Vendre a été couronné du Prix de l’Engagement Sociétal de la région Ouest dans le cadre du Prix de l’Entrepreneur de l’Année EY en 2018.

Pour en savoir davantage :

AMIPI

Sur la Fondation :

Sur les recherches du Pr. Oughourlian :

1Président du Centre National de la Résistance, après Jean Moulin