Si les États-Unis et l’Europe sont en train de mettre en place, chacun à leur échelle, des mesures visant à « verdir » l’économie, ils s’y prennent de manière tout à fait différente.

L’Europe, ou plutôt la Commission européenne, a pour sa part choisi de partir de la classification des activités économiques. Dit autrement, elle contraint les entreprises à classer puis à publier la part de leurs activités dites durables afin, ensuite, d’orienter les flux de capitaux vers ces investissements durables.

Cet objectif s’articule, en substance, autour de trois axes.

Le premier est celui de la classification des activités, dite « Taxonomie européenne ». Cette Taxonomie, issue d’un règlement de juin 2020, requiert des entreprises qu’elles identifient leurs activités durables. Sont considérées comme telles les activités qui correspondent à l’un des 6 objectifs environnementaux identifiés dans cette réglementation tout en ne compromettant pas les 5 autres. Les objectifs sont : (i) l’atténuation du changement climatique, (ii) l’adaptation au changement climatique, (iii) l’utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines, (iv) la transition vers une économie circulaire, (v) le contrôle de la pollution et (vi) la protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Après l’identification, le deuxième volet du pacte vert européen correspond à la publication de ces informations. Par une directive du 16 décembre dernier dite CSRD (pour Corporate Sustainability Reporting Directive), qui entrera progressivement en application à partir de janvier 2024, les entreprises concernées devront publier la part de leur chiffre d'affaires, la part de leurs dépenses d'investissement (Capex) et la part de leurs dépenses d'exploitation (Opex) provenant d'activités dites durables d'un point de vue environnemental et social. On estime aujourd’hui qu’environ 50 000 entreprises dans l'UE seront concernées par cette publication.

Enfin, le troisième volet est celui de l’orientation des investissements vers ces activités ou entreprises durables. Et là entre en jeu une troisième règlementation, dite SFDR (pour Sustainable Finance Disclosure Regulation), et qui vise à classer les fonds d’investissement selon qu’ils permettent ou non l’investissement dans ces entreprises durables. Ces fonds sont ainsi répartis en deux catégories (appelées fonds « Article 8 » ou « Article 9 »), selon qu’ils investissent respectivement une partie ou la totalité de leurs avoirs dans ces activités durables. Les fonds ont alors eux-mêmes une obligation de transparence vis-à-vis des investisseurs, afin de leur justifier que les sommes investies l’ont bien été vers les entreprises qui ont classé puis publié le degré de durabilité de leurs activités. lls doivent en conséquence fournir aux investisseurs une information adéquate sur la manière dont ces investissements ont été effectués et sont suivis.

Cet ensemble vise à conduire l’Union européenne à la neutralité carbone à horizon 2050.

L’exercice, déjà difficile dans sa conception, s’avère épineux dans sa mise en œuvre. Prenons l’exemple de l’énergie nucléaire : elle continue à atténuer le changement climatique en réduisant l’émission de CO2 et répond ainsi à l’objectif d’atteinte d’une neutralité carbone ; pour autant, les experts sont divisés pour savoir si elle ne compromet pas l’objectif de contrôle de la pollution, du fait de la difficile gestion des déchets radioactifs. Son intégration en 2022 dans la Taxonomie européenne, adoptée au terme de débats houleux, vient d’ailleurs d’être contestée par plusieurs organisations de défense de l’environnement, dont Greenpeace et le WWF (World Wild Fund) qui ont déposé en avril 2023 une plainte devant la Cour de Justice de l’Union européenne, dont la décision est attendue pour 2025. Le même débat pourrait être posé concernant par exemple l’aviation, dont les constructeurs aéronautiques considèrent qu’elle doit être incluse dans la Taxonomie pour soutenir sa décarbonation, alors que certains défenseurs de l’environnement estiment que les critères proposés permettent la continuité des activités actuelles du secteur, dans des conditions qui ne sont pas compatibles avec des objectifs climatiques ambitieux. Ces deux exemples montrent la difficulté de l’exercice de classification européen : en prenant le problème du réchauffement climatique « par le haut », de manière théorique, il conduit nécessairement à certaines impasses, tant les analyses sur les solutions de remédiation au changement climatique divergent.

Le système règlementaire européen est ainsi fondamentalement différent de celui mis en place aux États-Unis avec l’Inflation Reduction Act – ou IRA

Le système américain fait en effet preuve d’un grand pragmatisme, en visant directement... le portefeuille. Peuvent ainsi bénéficier de subventions et de prêts les ménages et entreprises qui répondent aux conditions visées dans l’IRA, notamment sur les questions de décarbonation de l’économie américaine, selon des règles identiques sur tout le territoire américain.

La simplicité du mécanisme nord-américain pourrait laisser un européen d’autant plus perplexe qu’elle ne serait pas envisageable sur notre continent. Quel que soit le degré d’intégration des pays de l’Union européenne, les règles fiscales restent en effet une prérogative étatique, excluant ainsi la mise en place d’un mécanisme d’incitation fiscale à l’échelle européenne. Quant à une incitation fiscale nationale, elle ne serait pas davantage envisageable car les États membres qui le souhaiteraient devraient au préalable obtenir l’accord de la Commission européenne, dont le rôle est notamment de veiller à ce que les États membres ne remettent pas en cause le principe d’un marché unique, par la mise en place de mesures de préférence nationale prenant la forme d’aides d’État.

Outre la méthodologie, le système Nord-américain présente également l’avantage de la rapidité, ce qui constitue un élément de compétitivité indéniable. Quelques mois devraient suffire à une entreprise pour qualifier l’éligibilité de son projet à un financement au titre de l’IRA. L’Europe tente de riposter et a proposé le 16 mars dernier un « Net Zero Industry Act » visant justement une simplification et une accélération des procédures et des octrois de permis pour les implantations industrielles, ainsi que des facilités de financement.

Cette différence d’approche entre les deux continents révèle probablement et plus fondamentalement une véritable différence de mentalité. Les États-Unis aujourd’hui ont une indépendance énergétique et une réserve d’énergies fossiles – dont ne dispose pas l’Europe – et qui ne les incite pas à verdir leur économie. L’achat d’un véhicule électrique est moins tentant pour un conducteur automobile américain qui paie son plein 1 dollar le litre, que pour un européen qui en paie le double. Au-delà cependant de ces différences d’approche, le fait que les États-Unis se développent vers une économie moins carbonée est à terme bénéfique pour tous et pour le climat en général puisque l’IRA contribuera à promouvoir les énergies renouvelables, à en réduire les coûts et, in fine, à accélérer leur développement. Dans l’intervalle cependant, les emplois créés par la recherche sur l’économie décarbonée risquent surtout de se déplacer vers le continent Nord-américain, au détriment de l’Europe notamment.

Achevé de rédiger le 20/04/2023 par Charlotte Tasso, Directrice Générale Déléguée.

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