Qu’est-ce qui peut expliquer ces réponses différentes ?
Quels sont les éléments explicatifs d’un déficit de croissance entre les deux côtés de l’Atlantique ?
Le modèle européen doit-il se reformer en profondeur ?

Les premières alertes sur l’apparition d’une souche virale inconnue sont venues de Chine en novembre 2019. L’origine provenait probablement d’un marché dans la ville de Huanan, région de Wuhan.

L’expérience de la précédente souche apparue en 2002, toujours en Chine, et dénommée Syndrome Respiratoire aigu sévère (SRAS) qui sur deux ans aura contaminé 8000 personnes pour un taux de mortalité de 10% environ, n’a pas inquiété les autorités sanitaires mondiales dans un premier temps, d’autant que la Chine donnait peu d’informations, et que les chiffres de contamination et de taux de mortalité diffusés par ces mêmes autorités, laissaient penser à une séquence identique à 2002 où le SARS était finalement resté cantonné à une zone relativement limitée.

C’est seulement le 7 janvier 2020 que les autorités chinoises confirment l’apparition et l’isolement d’un nouveau virus de type coronavirus qui sera désigné comme le SARS-CoV-2. Le 9 janvier, l’OMS lance une alerte internationale. Enfin, le 30 janvier, l’OMS déclare que l’épidémie constitue une urgence de santé publique de portée internationale.

L’Italie sera la première touchée avec la confirmation d’une contamination importante en Lombardie dès février 2020.

La pandémie était devenue mondiale

Une année après, comment appréhender les réponses qu’ont apporté les démocraties, quelles en ont été les conséquences visibles que ce soit du point de vue sanitaire comme du point de vue économique ?

Les États-Unis avec à leur tête Donald Trump ont dans un premier temps, fait un véritable déni sur la gravité de la pandémie. « Le virus va disparaître » prédisait D. Trump, l’absence de port du masque lors de meeting de pré-campagne aussi bien pour lui que pour ses partisans, a certainement aggravé la circulation du virus, une frange importante de la population ayant adopté les mêmes comportements.

Ce comportement laxiste des premiers mois aura généré une crise sanitaire sans précédent avec 31 millions de personnes contaminées et près de 570 000 morts. Les confinements institués par les différents États ont réussi à endiguer une catastrophe sanitaire qui aurait été encore plus dramatique, mais finalement, c’est tout de même la prépondérance de l’économie qui aura dicté le comportement des dirigeants dans le pays de l’entrepreneuriat.

Et la croissance économique aura finalement très bien résisté avec une chute en 2020 de 3,5%, après avoir connu un deuxième trimestre en baisse de plus de 33%.

Mais cela n’aura pas suffi à un Donald Trump qui a très certainement perdu l’élection présidentielle sur sa gestion calamiteuse de la pandémie.

L’Europe a choisi une autre voie qui est celle du « quoi qu’il en coûte » et de la protection de ses populations aux dépens de l’économie qui est passée au second plan. Ainsi, des mesures de confinement fortes ont été prises à la fin du premier trimestre 2020 dans la plupart des pays de la zone, arrêtant les trois quarts de l’économie pendant près de deux mois avec des résultats sanitaires probants et des déficits abyssaux. Une deuxième vague a eu lieu à l’automne avec l’apparition de variants plus contagieux, et de nouvelles mesures de confinement, certes plus allégées, ont été prises là aussi dans la plupart des pays.

Cette séquence spécifique à l’Europe n’aura pas permis à la zone de connaître les rebonds significatifs que la Chine ou les États-Unis auront affiché lors des troisième et quatrième trimestres (Chine +4,9% et +6,5% ; États-Unis +7,4% et +4%). En effet, la croissance de la zone euro aura affiché -6,8% en 2020 (Chine +2,3% ; États-Unis -3,5%), avec un quatrième trimestre en baisse de 0,7%.

Le bilan sanitaire est lui aussi mitigé avec près de 45 millions de personnes contaminées et 975 000 morts.

La zone euro ne retrouvera pas dans ces conditions le niveau de croissance de 2019 avant fin 2022, ce qui prouve que ses insuffisances structurelles vont continuer à peser sur son rayonnement.

L’Europe se retrouve une nouvelle fois en difficulté tout comme lors de la crise de 2008 avec la faillite de Lehman Brothers issue de la crise des Subprimes. Elle a été une victime collatérale, à l’époque, de l’innovation financière incontrôlée et dévastatrice provenant des États-Unis. Mais les États-Unis ont su réagir, purger ces dettes, au prix avouons-le, de dégâts considérables sur les classes moyennes et défavorisées, et repartir sur une nouvelle dynamique de croissance qui aura réussi à ramener le plein emploi avec un taux de chômage historiquement bas à 3,5% avant cette crise pandémique. Pendant la même période, l’Europe a creusé ses déficits, augmenté son endettement, appliqué une politique de rigueur (traité de Maastricht oblige), qui lui a fait prendre des années de retard.

Qu’est-ce qui peut expliquer ces différences d’évolution entre les États-Unis et notre chère Europe après ces deux crises majeures ? Quels sont les éléments explicatifs d’un déficit de croissance de plus en plus évident entre les deux côtés de l’Atlantique ? Le modèle européen doit-il se reformer en profondeur ?

Le modèle américain : innovation, esprit d’entreprendre et des financements

De nombreux éléments factuels propres aux États-Unis sont certainement à l’origine du décrochage de l’Europe, comme l’innovation, la recherche d’excellence, le rêve américain qui magnifie l’esprit d’entreprise, le système éducatif avec des universités de réputation mondiale, mais aussi des financements à disposition pour tout projet digne de ce nom.

L’innovation fait fondamentalement parti de l’ADN des Etats-Unis. Après la crise de 2008 et l’émergence de la Chine, leur statut de superpuissance s'est largement érodé. Il n’en demeure pas moins qu’ils restent leader dans les secteurs clés que sont le numérique, l’intelligence artificielle et la santé/biotechnologie. La Silicon Valley à San Francisco dédiée aux nouvelles technologies, ou encore le pôle Biotech à Boston dans le Massachusetts, attirent tous les plus grands talents car ils y trouvent un environnement favorable à tous les points de vue pour mener à bien leur projet.

Fin 2019, 38% des sociétés les plus innovantes sont américaines, 21% chinoises et 15% européennes.

En parallèle de l’innovation, le système universitaire se concentre sur l’émergence de l’entreprenariat et de la culture du risque qui y est associée.

Du « National Lemonade Day » dès 4 ans (concours d’entrepreneurs en herbe dont l’objectif est de gérer un stand de limonade), aux Entrepreneurship Summer Camps (112 millions d’américains), en passant par les prestigieuses universités -MIT, Harvard, Yale, Stanford, ou encore Princeton - dans lesquelles les professeurs sont aussi investis que leur élèves, les Etats-Unis sont pourvus d’un véritable écosystème de talents, d’innovation et d’encouragements. Les Américains sont ainsi conditionnés dès leur plus jeune âge, par le rêve américain qui définit que toute personne, par son travail, son courage et sa détermination peut devenir prospère.

Reste le nerf de la guerre, les financements. Ils sont disponibles à profusion par l’intermédiaire d’un réseau très développé de Business Angels ayant la culture du risque, par des fonds de pension et de capitalisation extraordinairement riches, par la culture de financements de projets par les entreprises elles-mêmes, qui cherchent de cette façon de nouveaux produits ou de nouveaux marchés à explorer, ou enfin par la possibilité de trouver des financements avec un accès au marché financier le plus capitalisé au monde.

Ainsi, à titre d’exemple, fort de son protocole d’ARN Messager, la start-up allemande BioNTech a trouvé un partenaire de choix avec le géant pharmaceutique américain Pfizer, lui permettant de financer ses recherches pour la mise au point de son procédé révolutionnaire qui aura permis de trouver et de produire un vaccin en un temps record. Pfizer par ce choix avisé, est entré dans le Top 10 des entreprises les plus innovantes du monde après les fleurons de l’économie américaine, que sont Apple, Alphabet, Amazon ou Tesla. Aucune entreprise française ne figure malheureusement dans ce classement où l’innovation est un des facteurs prépondérants.

Les laboratoires européens sont aujourd’hui à la traîne, ne disposant pas de cette nouvelle technologie et en dehors d’AstraZeneca, dont le vaccin reste controversé, aucun grand laboratoire n’a de candidat vaccin avant plusieurs mois à l’image de l’Institut Pasteur pourtant réputé pour ses compétences en matière vaccinale, en partenariat avec le laboratoire américain Merck, qui a dû renoncer à son candidat vaccin.

Force est de constater que la dynamique d’association laborantines, start-up ou institution, se tourne indubitablement vers les majors américaines et non vers leurs homologues européennes.

L’Europe : cafouillage à grande échelle dans la gestion de la crise

La Commission européenne a souhaité dès le départ négocier au nom des 27 pays de l’Union avec la justification de l’obtention certaine d’un meilleur prix auprès des laboratoires. Ceci était louable, mais selon le principe de précaution, l’Europe a demandé que les laboratoires soient juridiquement responsables des effets secondaires, envenimant les discussions et retardant les contrats alors que d’autres plus prompts et moins légalistes (Grande Bretagne, Israël) ont conclu des contrats rapidement et ont de ce fait bénéficié de la priorité d’approvisionnement.

Par ailleurs, l’Europe n’avait pas anticipé le succès si rapide des vaccins ARN Messager (Pfizer et Moderna), tout comme le défi que représentait la production industrielle de masse des vaccins et s’est retrouvée à gérer une pénurie de vaccins dans la phase critique de l’épidémie avec pour résultat de nouvelles mesures de confinement à la clef.

En choisissant l’option d’un second puis d’un troisième confinement ou couvre-feu, depuis plus d’un an pour tous ses concitoyens, l’Europe a mis un frein sérieux à la reprise solide et rapide de son économie.

Dès son arrivée à la Maison Blanche en janvier, Joe Biden a annoncé son objectif fort ambitieux de 100 millions d’américains vaccinés dans les 100 premiers jours de sa présidence. La pandémie mettant en danger la sécurité nationale, il n’a pas tardé ni hésité, à faire appel au DPA -Defense Production Act - de la Constitution afin que les Etats-Unis soient les bénéficiaires en priorité de toute production de gants, masques… et vaccins, et cela quoiqu’il en coûte.

Ainsi, début mars, était administrée en France 0,25 dose de vaccin pour 100 personnes par jour, 0,5 pour le Royaume-Uni et 0,65 pour les Etats-Unis. Ce décalage est également lié à la question des prix négociés avec les laboratoires qui semble à postériori bien futile : pour le vaccin AstraZeneca, les Etats Unis ont payé 15% de plus que les européens et pour le Pfizer 30%...

Contrairement à l’Europe, la priorité de l’administration Biden a été de financer (12 milliards USD) et sécuriser les doses : une production « made in America » destinée aux américains uniquement.

Cette production de masse a pu également bénéficier du soutien logistique de grands groupes spécialisés comme Amazon, Walmart ou encore Starbuck.

En effet, Amazon, via ses centres de distribution et disposant de sa propre flotte d’avions est capable de livrer 72% des américains en 24h améliorant de ce fait sensiblement la diffusion des vaccins disponibles dans tous les Etats américains.

Grâce à son fort maillage territorial, 90% de la population américaine se trouve à moins de 15km d’un de ses supermarchés, Walmart a inauguré la vaccination dans des locaux dédiés proche de ses implantations. Ce spécialiste de la logistique, acheminement et stockage, réfrigération incluse, a permis lui aussi d’assurer la livraison indispensable à flux tendus avec le respect des températures exigées dans des zones moins bien couvertes par d’autres acteurs. Avec ce soutien, Biden a fait du Trump mais l’a fait mieux et plus vite...

Ces différents exemples mettent en lumière une des faiblesses de l’Europe : la complexité de ses instances bureaucratiques, combinant des paramètres légaux, intergouvernementaux et nationaux, qui enrayent une exécution rapide et efficace, pourtant indispensable.

Réviser le modèle européen, une question vitale ?

Récemment, les membres de l’UE se sont certes montrés diligents pour décider du montant du programme de soutien de 750 milliards d’euros mais force est de constater que 9 mois après des discussions ont toujours lieu sur le bon moyen d’affecter cet argent alors que la Pologne et la Hongrie contestent devant la Cour de justice européenne la légalité même de cet accord. La célèbre phrase qu’aurait prononcée Kissinger en 1970 « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » semble toujours de rigueur 50 ans plus tard.

L’Europe à 27 impose par ailleurs à ses entreprises des mesures réglementaires et administratives de plus en plus oppressantes demandant une adaptabilité continue et requérant par conséquent des moyens et du temps ad hoc. Il est assuré que des procédures simplifiées seraient garantes mécaniquement de productivité.

Enfin, on ne peut omettre le joug fiscal dont font l’objet les entreprises européennes : ce qui a encouragé des délocalisations significatives et continuelles pour une main d’œuvre moins chère et par conséquent des fermetures de sites sur nos territoires. On a pu voir l’année dernière le retard pris pour l’acheminement des masques vers l’Europe. Dans le contexte de cette crise sanitaire, force est de constater qu’il nous a été préjudiciable de ne pas avoir sur place ce qui s’est avéré indispensable.

En conclusion, cette nouvelle crise à laquelle est confrontée notre vieille Europe, peu encline à prendre des risques, trop interventionniste, protectionniste ne permettrait-elle pas enfin une prise de conscience d’un modèle qui s’essouffle ?

La révision en profondeur du modèle européen devient désormais primordiale, c’est une question vitale pour son rayonnement et pour le devenir des nouvelles générations européennes qui aspirent à ce qu’on libère leur créativité.

Par Béryl Courcoux, gérante de portefeuilles et Stéphane Cochener, responsable de la gestion sous mandat / gérant de portefeuilles, chez Dubly Transatlantique Gestion

Achevé de rédiger le 17/05/2021