La pandémie de Covid-19 semble avoir mis en lumière l’incapacité de la France et du monde occidental à produire des biens essentiels sur leurs sols.

Remet-elle en cause ce long processus de mondialisation entamé après la seconde guerre mondiale ?

Septembre 2020, 8 mois après le début de la pandémie de Covid-19, dans un contexte encore marqué par le manque de souveraineté économique, le gouvernement français lance le plan « France Relance », articulé autour de 4 axes : décarbonner, relocaliser, moderniser et innover. L’objectif est clair : produire plus sur le sol national pour réduire la dépendance. Les secteurs privilégiés sont : la santé, l’électronique, l’agroalimentaire, les télécoms et les intrants utilisés par l’industrie.

La pandémie de Covid-19 semble avoir mis en lumière l’incapacité de la France et du monde occidental à produire des biens essentiels sur leurs sols. Cela a commencé avec l’impossibilité de se procurer des masques et des tests PCR. Puis une fois l’économie ré-ouverte, l’industrie automobile n’a pas été en mesure de répondre à la demande de ses clients étant donné la pénurie de semi-conducteurs. Plus récemment encore, 300 médicaments, dont le paracétamol, font l’objet de difficultés d’approvisionnement en raison du manque de personnel dans les usines chinoises et des réquisitions de médicaments par le gouvernement chinois pour faire face à la recrudescence des cas de Covid-19. La liste est longue et ces exemples pourrait être multipliés.

Comment se fait-il que les économies des pays développés ne soient pas en mesure de répondre à des besoins si essentiels ?

Cette situation est probablement le fruit d’un long processus, commencé après la seconde guerre mondiale. En effet, aux lendemains de la guerre, les États-Unis ont mis en place un système militaire et économique pour contenir, affaiblir et vaincre l’Union soviétique. En échange d’une protection militaire (OTAN) et d’un alignement sur la politique étrangère américaine, les pays alliés pouvaient commercer librement entre eux et avec les États-Unis grâce à des accords monétaires (Bretton Woods), des accords de libre échange (GATT puis OMC) et une protection implicite des voies maritimes par l’armée américaine. Ce système militaire, monétaire et commercial n’a d’ailleurs cessé de se développer depuis. Les pays signataires des accords généraux sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT en anglais) sont ainsi passés de 23 en 1947 à 128 en 1994, date de l’instauration de l’Organisation Mondiale du Commerce. Puis en 2001, la Chine adhère à l’OMC. A chaque fois qu’un pays entre dans ce système, les conséquences sont les mêmes : le libre-échange apporte développement et industrialisation puis génère une société de consommation, signe de prospérité.

A cet égard, l’exemple de l’industrie textile est parlant. Cette industrie qui employait près de 500 000 personnes dans les années 60 ne représente aujourd’hui plus que 2% de la valeurs ajoutée de l’industrie manufacturière française. Ce délitement progressif de l’industrie textile en France a eu comme corollaire le démantèlement des accords multifibres signés sous l’égide du GATT. Ces accords visaient à protéger les industries textiles des pays développés en fixant des quotas d’exportation aux pays en voie de développement. Pour les acteurs français de l’industrie textile, la production a alors été délocalisée vers des pays à bas coûts, il a donc fallu rebondir. En l’occurrence, ils se sont spécialisés sur des activités à plus forte valeur ajoutée comme la conception, le marketing et la distribution. Ce processus est d’ailleurs conceptualisé1 puis enseigné dans les écoles de commerces du monde entier. Il porte le nom de « chaîne de valeur mondialisée ». Dans ce système, les entreprises ont intérêt à se spécialiser sur des activités stratégiques à forte valeur ajoutée et à délocaliser les activités à moins forte valeur ajoutée vers des pays à bas coûts.

La pandémie remet-elle en cause ce long processus de mondialisation entamé après la seconde guerre mondiale ?

Pour des raisons principalement économiques, les entreprises se sont donc surspécialisées, le tout dans un monde globalisé où le coût du transport est dérisoire. La crise du Covid-19 a surtout mis en lumière les fragilités de cette surspécialisation. Un masque FFP2 ne coûte que 26 centimes d’euros sur Amazon. Et pourtant sans masque, il est impossible de mettre en place une politique de lutte contre la pandémie. De même, la valeur des semi-conducteurs dans une voiture est inférieure à 300€. Et pourtant sans semi-conducteurs, les constructeurs automobiles ne peuvent pas livrer leurs clients. Dans un médicament, la valeur du principe actif est dérisoire (moins de 1% ?). Il apparaît donc normal pour les grands laboratoires de concentrer leurs efforts sur la recherche plutôt que sur la production. Et pourtant sans principes actifs, il n’est pas possible de produire un médicament.

La pandémie a révélé ces fragilités et mis les États en ordre de marche. Le terme « protectionnisme », qui a une connotation négative a d’ailleurs été remplacé par celui de souveraineté économique ou industrielle. De nombreux plans de relocalisation sont mis en place partout dans le monde. Aux États-Unis, il porte les noms de chips act (280 mds de dollars), pour le soutien à l’industrie des semi-conducteurs et surtout d’inflation reduction act (391 mds de dollars) pour le soutien à l’industrie (128 mds de dollars pour les énergies renouvelables, 30 mds de dollars pour l’industrie nucléaire, 13 mds de dollars d’aide pour l’acquisition de véhicules électriques, 26 mds de dollars pour l’amélioration énergétique des bâtiments, 37 mds de dollars pour développer à l’industrie notamment automobile, etc.). Ce plan a agi comme un électrochoc à Bruxelles. L’Union européenne a esquissé en quelques semaines un début de réponse avec le « pacte vert » (green deal). Le risque d’escalade est donc à prendre au sérieux.

La fin de la mondialisation ?

Nous pouvons nous interroger sur le fait de savoir si ces plans de relocalisation ne s’inscrivent pas dans une tendance profonde à savoir la fin de la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Donald Trump, le 20 janvier 2017, bien avant la pandémie, disait déjà lors de son premier discours officiel : « Nous devons protéger nos frontières des ravages que les autres pays font, en volant nos entreprises et en détruisant nos emplois. La protection mènera à une grande prospérité et à la force. Je vais me battre pour vous avec chaque souffle de mon corps et je ne vous laisserai jamais, jamais tomber. ». Avant lui, sous la présidence de Barack Obama, la justice américaine n’a-t-elle pas favorisé économiquement des entreprises américaines en invoquant le principe d’extraterritorialité du droit américain ? Plus récemment, le président américain Joe Biden, après avoir prolongé bon nombre des mesures protectionnistes introduites par son prédécesseur – y compris les tarifs commerciaux sur les importations de métaux et la législation Buy American – a signé un décret exécutif sur les chaînes d'approvisionnement, traitant des discontinuités à court terme. Parallèlement, des États autoritaires comme la Russie, la Chine ou encore la Turquie s’affirment de plus en plus sur la scène internationale sans forcément respecter toutes les règles établies après la fin de la seconde guerre mondiale.

Cette thèse de la fin de la mondialisation est très bien développée par Peter Zeihan, dans son livre, recommandé par le Financial Times « The end of the world is just the beginning ». Dans ce livre, l’auteur estime que le monde est en train de se fragmenter en ensembles plus régionaux et/ou nationaux pour des raisons géographiques, démographiques, militaires et énergétiques. D’autres en revanche estiment qu’il y a un risque d’escalade des mesures protectionnistes mais qu’in fine les États et/ou blocs régionaux ont un intérêt supérieur à échanger et commercer.
Véritable rupture ou simple évolution ? Difficile de trancher... En revanche, ce mouvement engendre indéniablement de nouveaux risques et de nouvelles opportunités à prendre en considération pour les investisseurs et entrepreneurs.

Achevé de rédiger le 17/02/2023 par Nicolas Levrier, directeur des gestions

1 Competitive Advantage : Creating and Sustaining Superior Performance" Michael Porter, 1985


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