Famille

Loger gratuitement son enfant

Il arrive fréquemment que des parents mettent gratuitement à la disposition d’un enfant majeur, un bien immobilier afin qu’il puisse s’y loger. Parce que cette situation d’entraide familiale apparait comme naturelle, elle est rarement formalisée dans un acte juridique. Pour autant, la mise à disposition prolongée d’un logement peut renvoyer à plusieurs qualifications possibles (exécution de l’obligation d’entretien, simple prêt ou donation indirecte) avec des conséquences juridiques différentes. C’est la raison pour laquelle cette aide apportée par les parents à l’un de leurs enfants est souvent source de contentieux entre les héritiers.

Mise à disposition gratuite d’un logement et rapport à succession

La préservation de l’égalité entre les héritiers constitue l’un des principes fondamentaux du droit successoral français.

Le respect de ce principe est notamment assuré par le mécanisme du rapport successoral qui oblige un enfant à rapporter à la succession de ses parents donateurs, le montant des biens reçus par donation afin que leur valeur s’impute sur le montant de ses droits dans la succession.

Il arrive fréquemment que les frères et sœurs de l’enfant logé gratuitement demandent à ce que cet avantage indirect soit rapporté à la succession des parents.

À quelles conditions ?

Jusqu’à une décision récente de la Cour de Cassation1, la jurisprudence considérait que l’occupation gratuite d’un logement n’était rapportable à la succession des parents que si les cohéritiers apportaient la preuve de l’existence d’une libéralité.

À cet effet, les cohéritiers devaient donc établir, outre l’appauvrissement du défunt, l’intention libérale de ce dernier, c’est-à-dire son intention de gratifier l’enfant ayant bénéficié de l’occupation gratuite.

La Cour de Cassation semble désormais s’appuyer sur un nouveau fondement pour exclure le rapport.

Elle considère, en effet, que la mise à disposition sans contrepartie financière d’un logement par un parent au profit de son enfant relève d’un prêt à usage tacite (commodat).

Ce prêt à usage n’entraînant aucun appauvrissement du parent prêteur, ce dernier conservant la propriété du bien ainsi que les revenus qu’il génère, elle en conclut que l’enfant bénéficiaire n’est pas tenu d’en faire rapport à la succession.

Anticiper le risque de contentieux entre les héritiers ?

Afin de prévenir de futurs conflits entre cohéritiers, les parents ont tout intérêt à qualifier par un écrit, la nature de l’aide apportée à leur enfant : entendent-ils que le bénéficiaire de l’entraide familiale conserve, au moment du partage de la succession, l’avantage dont il a bénéficié, ou, au contraire, rende des comptes à ses frères et sœurs pour rétablir l’égalité ?

Dans le premier cas, une convention de prêt à usage pourra être utilement signée s’ils souhaitent que le logement gratuit de l’un de leur enfant ne soit jamais rapportable.

Dans le second cas, l’avantage rapportable portera, en principe, sur les loyers jamais payés (valeur locative annuelle de l’immeuble multipliée par le nombre d’années occupées), ce qui, lorsque l’occupation aura été de longue durée, peut porter sur des sommes importantes.

Toutefois, les parents peuvent définir les règles du rapport afin, par exemple, d’en limiter son montant à une somme convenue d’avance ou de tenir compte des améliorations apportées dans le logement par l’enfant hébergé.

1 Cass. Civ. 1, 11 octobre 2017, nº16-21419.